Commercialisé sur le marché français en 1967, l’anti-convulsivant Dépakine, dont la substance active est l’acide valproïque, fut alors prescrit aux femmes enceintes souffrant d’épilepsie ou de troubles bipolaires sans aucune mise en garde préalable. Les premières accusations contre cette molécule dans la littérature médicale datent des années 80 mais des générations de futures mamans ont pourtant continué à prendre ce médicament sans connaître les risques encourus par leur bébé, notamment celui de développer des troubles du spectre autistique. Mais la Dépakine est aujourd’hui au cœur d’un scandale sanitaire sans précédent. Le Ministère des affaires sociales et de la santé a rendu publique en août dernier une étude menée conjointement par l’Agence du médicament et la CPAM qui a révélé que plus que 14 000 grossesses avaient été exposées à la Dépakine entre 2007 et 2014. Des chiffres, probablement sous-estimés, qui ne disent rien du quotidien des familles dont la vie et le quotidien ont été bouleversés par le handicap.
Prescillia, 31 ans, lectrice de Mum-to-be Party et ayant travaillé dans le monde de la puériculture, est l’une de ces mamans. Mère de 4 garçons de 20 mois à 9 ans, elle fait face avec son compagnon aux difficultés de ses trois plus jeunes enfants et se bat aujourd’hui pour leur offrir une vie heureuse et faire reconnaître leur handicap. Entre rage de vaincre, découragement et culpabilité, voici son témoignage mais aussi ses projets pour améliorer le quotidien des familles touchées.
Son histoire
Prescillia a été diagnostiquée épileptique à l’âge de 15 ans. Mais ses crises étant rares, son neurologue choisit à l’époque de ne pas lui prescrire de traitement. Elle ne prend donc aucun médicament lorsqu’elle tombe enceinte de son premier enfant 4 ans plus tard. Une grossesse qui se passe sans problème mais qui aggrave considérablement son épilepsie. Alors que les crises s’intensifient, elle est mise sous Urbanil, un anti-convulsivant. Lors de sa deuxième grossesse, un neurologue lui assure que son bébé ne court aucun risque. Après une éclampsie, elle donne naissance à son fils Nathan à seulement 29 sa. Les premières difficultés du petit garçon apparaissent lors de l’entrée à l’école. Prescillia raconte : « Il était très maladroit, avait du mal à poser son attention. Je me suis tout de suite inquiétée. » Les médecins mettent alors ces symptômes sur le compte de sa grande prématurité mais Prescillia, contre l’avis de l’école, décide de consulter un orthophoniste. Après avoir éliminé un problème d’audition, Nathan est diagnostiqué avec un trouble sévère de l’attention et une dispraxie. Prescillia a immédiatement un doute quant à son traitement, Dépakine plus Kepra, mais les médecins la rassurent et elle tombe enceinte de son troisième enfant 2 ans plus tard. Le petit Liam naît par césarienne après un épisode épileptique très sérieux de Prescillia à 7 mois de grossesse. Encore, une fois, on la rassure : « Le personnel de la maternité ne m’a pas du tout prise au sérieux et n’a pas écouté mes inquiétudes. Les médecins n’arrêtaient pas de me répéter que mon traitement était sans danger pour mon bébé. » Elle choisit donc de faire confiance et donne naissance à Aaron, son 4ème garçon : « Pendant cette grossesse, j’ai pris mon traitement très consciencieusement, un traitement lourd avec plusieurs médicaments différents. Mais lorsque les médecins vous disent que vous pouvez avoir confiance, vous les croyez… »
A 9 mois, Aaron ne se retournait pas, ne souriait pas, ne tenait pas sa tête. Il était ce que j’appelle « un grand nouveau-né »
Pourtant, dès la naissance d’Aaron, la jeune femme comprend que quelque chose ne va pas : « Lors des tests réalisés par le pédiatre, Aaron n’avait pas le réflexe primaire de marche. Ça m’a tout de suite semblé bizarre, même si j’étais apparemment la seule à m’en soucier… Il a eu des difficultés à s’alimenter, ne savait pas téter. C’était un bébé extrêmement calme, nous n’arrivions pas à interagir avec lui. » Les mois qui passent ne rassurent pas Prescillia et son mari : « A 9 mois, Aaron ne se retournait pas, ne souriait pas, ne tenait pas sa tête. Il était ce que j’appelle « un grand nouveau-né ». Pendant tout ce temps, j’ai alerté les médecins mais ils m’ont fait comprendre que mon anxiété était la cause des problèmes de mes enfants. » La situation s’aggrave en décembre 2015 lorsque le petit garçon est hospitalisé d’urgence car il ne s’alimente plus : « Tous les médecins du service sont passés voir mon fils, on lui a fait subir une IRM, une ponction lombaire, un EEG, des radios. Une chose m’a marquée. Je me souviens avoir entendu le chef de service évoquer le visage de mon fils. En tant que maman, je le trouvais beau, je ne décelais rien de particulier. » Ce que le médecin remarque ce jour-là, Prescillia ne le comprendra que des mois plus tard lorsque le diagnostic sera enfin posé. Le petit garçon possède le faciès caractéristique des enfants qui ont été exposés à la Dépakine in-utéro : lèvres fines, yeux écartés, front bombé.
Mettre enfin « des mots sur les maux »
Les médecins notent qu’Aaron rencontre des difficultés de communication mais il est encore trop jeune pour parler d’autisme. La famille sort de l’hôpital sans traitement, sans diagnostique et sans explications. Il ne sera diagnostiqué que plusieurs mois plus tard. Elle évoque son traitement et remarque que les médecins sont mal à l’aise : « Ils tournaient autour du pot et ne me donnaient pas de réponse claire. » Aussi incroyable que cela puisse paraître, Prescillia va découvrir seule, en faisant des recherches sur internet, que son traitement pourrait être la cause du handicap de ses enfants. Elle se met alors en rapport avec l’APESAC (Association d’Aide aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anti-Convulsivant) et la Présidente de l’association reconnaît immédiatement dans le visage des enfants de Prescillia les signes caractéristiques. Un soupçon confirmé par le Dr Journel, généticien à Vannes : «On a emmené les trois enfants et je suis tombée de très très haut car il nous a annoncé que les trois étaient touchés, plus ou moins gravement, par le syndrome. » La nouvelle est un véritable choc pour toute la famille : « Même si on s’en doutait, nous avons très mal accueilli le diagnostic.» Prescillia est alors rongée par la culpabilité : « Je voulais les protéger et j’ai détruit leur vie… »
Pour ses fils et pour les autres enfants victimes, Prescillia a créé une association, la SACFEE (Association du syndrome de l’anticonvulsivant, famille, enfant, entraide). Elle se bat pour que soit reconnu l’effet tératogène de tous les anticonvulsivants et pas seulement la Dépakine qui est le médicament dont on parle le plus. Mais sa bataille, elle la mène surtout au quotidien aux côtés de Nathan, Liam et Aaron. En invalidité, elle ne peut plus travailler et son mari a dû cesser son activité pour s’occuper à plein temps des enfants. Liam ne va plus à l’école, faute d’un accompagnement adapté et l’état d’Aaron nécessite une attention constante : « Il se met en danger, peut être violent. Il ne marche pas, ne parle pas. Je suis réaliste, je sais qu’il n’ira jamais à l’école. » Les structures manquent en France pour accueillir les enfants comme Aaron et Prescillia s’épuise à force de frapper à toutes les portes : « On se bat contre tout le monde, tout le temps. Les médecins, le Ministère de la santé, l’école… Mes fils ont besoin de soins quotidiens, notamment d’ergothérapie et de psychomotrocité, que nous n’avons pas les moyens de leur offrir. Alors on fait au mieux, on s’endette, on vit au-dessus de nos moyens. C’est ce que font tous les parents d’enfants autistes. »
Faire reconnaître la responsabilité des pouvoirs publics
Les familles victimes du syndrome de l’anticonvulsivant se battent pour que le Ministère de la santé prenne ses responsabilités. Si l’annonce par Marisol Touraine de la création d’un fonds d’indemnisation et son vote à l’Assemblée nationale au début du mois de novembre ont été accueillis positivement par les familles, cela ne suffit pas. Elles dénoncent les délais d’obtention de rendez-vous anormalement longs et la méconnaissance des médecins quant au syndrome valproate, occasionnant retard dans la pose du diagnostic et donc dans la prise en charge des enfants. Prescillia est bien décidée à ne pas abandonner : « Mes enfants méritent que je me batte pour eux. Mais c’est aussi ma culpabilité que je combats… Le plus difficile est aussi de se dire que tout cela aurait pu être évité.» Alors que son fils de 9 ans, en parfaite santé, vit chez son père, Prescillia met toute son énergie dans l’accompagnement de Nathan, Liam et Aaron. Un combat quotidien qu’elle mène en parallèle de son association.
Après plusieurs rendez-vous annulés, Prescillia a enfin pu obtenir une rencontre au Ministère : « Ce rendez-vous a été très productif, nous avons présenté l’association et nos objectifs. Il semblerait que nous ayons été entendus. » Faute de soutiens suffisants, elle sait que la demande d’agrément au Ministère de la santé a peu de chance d’aboutir. Mais elle ne renonce pas et s’est également rapprochée de plusieurs neurologues afin de leur exposer l’un de ses objectifs majeurs : la création d’un « Plan épilepsie » car, comme elle le précise : « C’est au final le fond du problème, la prise en charge du patient épileptique en France. » Prescillia est sur tous les fronts et se bat plus que jamais pour la prise en charge des enfants victimes. Elle vient d’obtenir un rendez-vous à l’ARS (Agence régionale de santé) de Gironde pour entamer une discussion sur le sujet et leur présenter son projet d’établissement spécialisé dans l’accueil de ces enfants.
Elle espère que la douleur des familles comme la sienne y sera enfin écoutée et entendue. La reconnaissance, un premier pas vers l’apaisement.
Pour soutenir l’association de Prescillia, rendez-vous sur sa page facebook. Si vous souhaitez suivre le parcours et le quotidien de ses enfants, Prescillia un compte Facebook ici.
Je fais des crises d épilepsie depuis l’âge de 15 je suis suivie sur depakine krono 500 j’ai eu 4 enfants qui ont tous les 4 un handicap je n’étais pas prévenue que c était un risque; ke dois je faire